Nuage d'avril (conte Amérindien)

edition du livre ;

Prix :  10 euros

Frais d’envoi : 4,64 euros

                                                                                                                                :

Par le non et par le oui,
Par le ciel qui fait la pluie,
Cette histoire, la voici.
 

 

​C'est une petite souris qui vit dans une tribu souricière, à flanc de colline, entre quatre rochers, sous les buissons.

Cette petite souris grise a un énorme défaut, et, du coup, elle n’est pas très aimée.

Non ! Elle n’est pas aimée dans sa communauté souricière, et, pire encore, elle est rejetée.

Car, il faut que je vous dise, quand cette communauté de souris travaille, cette petite souris, Nuage d’Avril, c’est son nom, s’arrête de travailler et dit : Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous ! Vous entendez ce bruit ? Cette rumeur confuse ? Cette musique ?

Mais non, y’a rien ! répondent les autres !

Mais si, je vous le dis, écoutez ce bruit joyeux, cette rumeur, cette musique menue !

Mais non ! Y-a-pas plus de bruit que de musique ! Tu rêves ! C’est dans ta tête ! Ricanent ses sœurs ; t’es folle ! Travaille et arrête de fainéanter.

 

Mais, un jour, fatiguée de s’entendre toujours traitée de folle, Nuage d’Avril, décide de partir, de partir et de trouver enfin ce bruit, cette rumeur, cette musique menue.

Elle part donc en direction d’où semble lui venir ce bruit, cette musique menue.

Pendant trois jours et trois nuits, elle trotte.

Elle trotte avec toujours plus de courage, car, plus elle avance, plus le bruit, la musique menue, enflent à ses oreilles.

Après trois jours de voyage, Nuage d’Avril parvient au pied d’un buisson ; là, au pied de ce buisson, Nuage D’Avril sent son cœur battre très fort.

Son cœur bat très fort car elle sait !

Elle sait que, derrière ce buisson, se cache la source de ce bruit, de cette rumeur, de cette musique menue.

Elle se dit : « Ah ! Si mes compagnes m’avaient écoutée, elles sauraient, elles aussi, d’où vient cette rumeur, cette musique ».

Nuage d’avril l’entend, bien distinctement, ce bruit, cette musique ; elle, elle saura, et les autres ne sauront pas.

Elle se dit que, maintenant, à cet instant même, elle n’a qu’à écarter les deux branches devant elle, et elle saura !

Elle, elle connaitra la source de ce bruit joyeux, de cette rumeur, de cette musique menue.

Du bout du museau, elle écarte les deux branches de ce grand buisson, et, là, elle la voit, elle voit la source du bruit !

C’est un ruisseau ! et Nuage d’Avril n’a jamais vu de ruisseau !

Alors là ! se dit Nuage d’Avril ! Alors là, qu’elle merveille !

Qu’elle merveille, cette eau qui coule et danse !

C’est décidé, je vais, désormais, vivre là, au pied de cette source, et, tous les jours, j’entendrai cette musique menue !

Alors qu’elle se dit cela, sur une pierre moussue, au milieu du ruisseau,tout à coup, apparait quelqu’un !

Qui est-ce ?

Une grenouille ! c’est une grenouille !

Alors là ! Grenouille ! dit Nuage d’Avril, tu vis là comme une reine ! Le bruit te passe à droite, le bruit te passe à gauche ! Tu es là, tu règnes au milieu de cette musique ! Qu’est ce j’aimerais être à côté de toi !

Et la grenouille lui répond : tu le peux ! Tu peux me rejoindre si tu veux !

Vrai ? dis la souris.

Oui ! Tu prends appui sur tes pattes de derrière, tu te ramasses bien, tu bondis aussi haut que tu peux et tu retomberas infailliblement près de moi !

En vérité ?

En vérité ? coasse la grenouille

Alors, Nuage d’Avril rassemble ses petites pattes de derrière, pelote bien son arrière-train, bondit aussi haut qu’elle peut, et, là, splash !

Elle tombe dans l’eau, se démène, bat des pattes, hoquette, crache, parvient à agripper une herbe de la rive opposée, parvient à se hisser sur la rive opposée.

Elle est essoufflée, grelotte d’indignation, de terreur, et, enfin, quand elle peut parler, elle dit à la grenouille :

Mais tu as voulu me tuer, toi !

Et la grenouille lui répond

Ce n’est pas important ça !

Comment ça ? c’est pas important ? J’ai failli mourir ! Ma vie, ma mort, c’est pas important ?

Mais non !  Ce n’est pas important !

Si ma vie, ma mort, c’est pas important, alors qu’est ce qui est important ?

L’important, dit la grenouille, l’important c’est que, lorsque tu as bondi, au plus haut du bond, est-ce que tu as vu quelque chose ?

Ah ! oui ! maintenant que tu le dis ! j’ai bien vu quelque chose, mais, j’étais tellement en colère après toi, que cela m’était complètement sorti de la tête !

Et qu’est-ce que tu as vu ?

Cela va te paraitre un peu bizarre, mais j’ai vu, le temps d’un éclair, j’ai vu les taches blanches du soleil !

Voilà ! voilà ton destin de souris ; ton destin sur cette terre c’est, maintenant, d’aller dans les taches blanches du soleil.

Oui ! Je le savais que mon destin à moi était d’aller dans les taches blanches du soleil, je le savais, mais je n’y avais pas pensé ! répondit Nuage d’Avril.

Alors, elle remercie la grenouille, et part.

Que peut faire une souris qui veut atteindre les taches blanches du soleil ? Elle part droit devant, elle regarde droit devant elle.

Et trottant ainsi droit devant, trois jours et trois nuits, elle parvient à l’orée d’une forêt.

Elle entre dans la forêt, et, là, elle se fait piquer par mille insectes, se fait griffer par mille ronces, tombe dans mille trous d’eau, tant et si bien, tant et si mal, vaut-il mieux dire, qu’à à bout de force, à bout de vie, même, elle se couche, le museau entre les pattes, ferme une paupière, et, juste à l’instant où elle va fermer l’autre paupière, apparaît quelqu’un !

C’est une autre souris !

Une souris grise comme elle, un peu plus vieille ; en vérité c’est une souris ermite !

Cette souris ermite traine Nuage d’Avril jusqu’à chez elle, dans une clairière ; elle  soigne Nuage D’Avril, nourrit Nuage d’Avril, si bien qu’au bout de cinq lunes de soins attentifs, Nuage d’Avril retrouve la pleine force dans ses muscles, sa pensée et sa parole.

Aussi, Nuage d’Avril sent fortement qu’elle veut continuer sa quête ; elle se prépare à quitter son hôte.

La souris ermite réfléchit, et finit par dire à Nuage d’Avril : Reste avec moi ! Reste avec moi ! Regarde : le territoire est infini dans cette forêt, la chasse est abondante ; ici, on ne manque de rien ! Je ne manque de rien, seulement, parfois, je me sens un peu seule. Reste ! Reste ! Ici, tu peux vivre heureuse en ma compagnie !

Ben oui ! Je vois bien ! Mais mon destin à moi, c'est d’aller dans les taches blanches du soleil ; je ne peux pas rester !

Je sais bien ! Dit la souris ermite ! Moi aussi, quand j’étais jeune, j’ai rêvé d’aller voir les taches blanches du soleil ! Mais ce n’est pas possible ! regarde nous, nous sommes toutes petites ; le chemin, au-delà de la forêt, dans les plaines, est bien trop long pour nos petites pattes ! allez ! goûte à la paix du renoncement !

Je ne désire pas la paix ! dit Nuage d’Avril, je désire aller dans les taches blanches du soleil ; et, si mon destin est de mourir en chemin, peu importe ! 

Je te remercie de m’avoir sauvé la vie, mais je pars !

Devant tant de détermination la souris ermite conduit Nuage d’Avril hors de la forêt, par un chemin secret.

Au bout de ce chemin secret, les deux souris parviennent au seuil d’une grande prairie.

Là ! elles se séparent.

Nuage d’Avril trotte dans la grande prairie aux hautes herbes, oh ! Pas très longtemps ! Elle trotte jusqu’à ce qu’apparaisse, devant ses yeux, quelqu’un.

Qui est-ce ?

Un bison, un bison, couché sur le flanc, dans les hautes herbes.

Il n’a pas l’air bien du tout : il a le souffle rauque, l’œil torve, le museau larmoyant.

D’ailleurs c’est ce que Nuage D’avril lui dit : Oh ! Tu ne m’as pas l’air bien, toi !

Je ne vais pas bien du tout ! En vérité, je vais plus que pas bien, je vais mourir !

Allons, il ne faut pas parler comme cela ! Faut pas te laisser aller ! Tu n’es plus seul au monde maintenant ! Je suis là, moi ! Dis-moi si je peux faire quelque chose ; si je peux faire quelque chose pour toi, je le ferai, foi de souris !

Oui ! Tu pourrais me redonner la vie, c’est vrai ! mais comme tu ne le feras pas, ce n’est pas la peine que je te le dise.

Allons ! Parle ! que puis-je faire pour te redonner vie ?

Pour me redonner vie, me redonner la santé-même, tu pourrais ... me donner ... un œil de ta tête ! Mais je sais bien que personne n’est assez généreux pour donner un œil de sa tête à un inconnu !

Ah oui ! Bon !  Un œil de ma tête ? Effectivement ! c’est que je dois aller dans les taches blanches du soleil ! Déjà qu’avec deux yeux c’est pas facile ; et, avec un œil en moins ... Non ! je peux pas t’aider ! Ce n’est pas possible.

Je le savais !

Mais, tu vas mourir ?

Oui, je vais mourir

Bon ! Alors ! Qu’est-ce qu’il vaut mieux, que je sois borgne ou que tu meurs ? Que je sois borgne !

Alors Nuage d’Avril ordonne à son œil gauche, celui qui voit le moins bien, de lui obéir ; et son œil gauche lui obéit, et vient se glisser sous la paupière du bison.

Aussitôt, voilà que le bison se remet sur ses quatre pattes, ragaillardi, le naseau fumant, fort comme au temps de sa jeunesse.

Alors ça ! Merci ! Merci à toi ! Merci ! Merci à toi ! Je n’aurais jamais cru à autant de générosité ! Parle maintenant ! Si, à mon tour, je peux faire quelque chose pour toi, dis-le moi !

Alors Nuage d’Avril lui répond : Tu sais, mon destin à moi est d’aller dans les taches blanches du soleil ! Alors ...

Les taches blanches du soleil ? Dit le bison, je suppose que, pour atteindre les taches blanches du soleil, il faut monter sur la plus haute montagne rocheuse ; et ça, moi, je ne peux pas ! Par contre, les prairies sont vastes, et une vie entière pour toi n’est pas suffisante pour les traverser, alors que moi, en trois jours, je peux t’emmener au pied des Montagnes Rocheuses. Pour moi, ça, c’est possible, si tu le veux !

Oui, je le veux !

Allez, Accroche-toi à ma fourrure, et dans trois jours nous y serons !

Accrochée aux poils de la bête, Nuage d’Avril, file et traverse les prairies.

Trois jours se sont écoulés, et voilà Nuage d’avril au pied des Montagnes Rocheuses ; les deux amis se souhaitent bonne chance, chacun repartant dans des directions opposées.

Et Voilà que Nuage d’Avril grimpe, grimpe ces monts démesurés, crevassés.

Elle s’échine à grimper, bien sûr, mais elle est tellement concentrée, le museau au ras des herbes, qu’elle ne s’aperçoit même pas du temps qui passe.

Pendant huit jours, huit nuits, elle ne pense même pas à se nourrir ! Elle grimpe !

Puis vient l’instant, où, trop fatiguée, elle s’arrête pour reprendre souffle, et, là, Nuage d’Avril fait quelque chose qu’elle n’aurait jamais dû faire, mais elle le fait quand même ; elle regarde derrière elle.

Nuage d’Avril regarde derrière elle, et elle voit que le chemin qu’elle a parcouru n’est rien à côté de celui qui lui reste à faire ; et elle se dit qu’elle ne parviendra jamais à la cime de la plus haute montagne du monde.

Découragée, elle se laisse rouler jusqu'à butter contre un rocher.

 

Au pied de ce rocher elle aperçoit quelqu’un ! 

Qui voit-elle ?

C’est un loup !

Mais c’est un loup qui ne va pas bien du tout : il est couché sur le flanc, l’œil torve, le souffle rauque et le museau larmoyant.

Tu n’as pas l’air bien du tout ! lui dit Nuage d’Avril !

Non, je ne vais pas bien, et, J’ai dans la tête, une phrase qui tourne absurdement ; et je sais que, lorsque cette phrase s’arrêtera de tourner absurdement dans ma tête, je serai mort …

Allons ! Ne dis pas cela, ne te décourage pas ! Il y a sûrement quelque chose à faire ! Tiens, dis-moi cette phrase qui te tourne absurdement dans la tête ; peut-être en elle, y a-t-il le secret de ta guérison ! Tu peux me la dire à moi !

Oh non ! elle est absurde !

Dis toujours !

Elle me dit que tu pourrais me sauver la vie, tu pourrais me redonner la santé-même, si, tu me donnais, un œil de ta tête.

Alors là, non ! Pas possible ! dit Nuage d’Avril ! Là, non ! Et, d’ailleurs, pourquoi c’est toujours à moi qu’on demande un œil ? Non ! Il y a bien d’autres personnes dans le monde à qui on peut demander un œil ; pourquoi moi ? Il me faut aller dans les taches blanches du soleil ! Déjà qu’avec un seul œil c’est pas facile … Pff ! Non ! ... Je peux pas !

Ce n’est pas grave ...

Oui, mais alors, tu vas mourir !

Oui, mais ce n’est pas grave !

Si, c’est grave ! Qu’est ce qu'il vaut mieux, que je sois aveugle ou que tu meurs ? ... Que je sois aveugle !

Alors elle ordonne à son deuxième œil de lui obéir, et son deuxième œil lui obéit, et vient se glisser sous la paupière du loup ; aussitôt, le loup se remet sur ses quatre pattes, ragaillardi, fringant comme au temps de sa jeunesse.

Mais Nuage d’Avril ne le voit pas ; Nuage d’Avril est devenue aveugle !

Le loup lui dit : Alors là ! Merci ! Merci ! Je n’aurais jamais cru que quelqu’un puisse être aussi généreux, et, toi, petite souris, tu l’as fait ! S’il y a quelque chose que je peux faire pour toi, dis-le-moi, je le ferai.

Alors Nuage d’Avril lui répond : Ma mission à moi, c’est d’aller dans les taches blanches du soleil ! Et, même si je ne pourrai jamais contempler leur lumière, je ne désire rien d’autre que d’aller là où elles sont.

Alors là ! Aller dans les taches blanches du soleil, c’est un destin de héros ! Moi, je ne suis pas un héros, je ne suis qu’un loup ! Mais, ce qui est possible pour moi, si tu le veux, c’est de t’en rapprocher.

Oui ! je le veux ! dit Nuage d’Avril.

Alors ! Accroche-toi à ma queue et partons !

Nuage d’Avril s’accroche à la queue du loup

Et, le loup, le museau bas, écarte les herbes. Et il grimpe, grimpe, grimpe longtemps. Le loup grimpe, Nuage d’Avril grelotte. Le loup grimpe dans les neiges éternelles ; il place nuage d’Avril sur son cou.

Et il grimpe ; ce loup est tellement concentré que, dans la nuit qui vient d’arriver, il ne s’aperçoit même pas qu’il est entré dans les nuées, Il grimpe.

Dans cette nuit profonde, le loup continue de grimper, sa vigueur ne le lâche pas ; son courage est toujours là.

Mais, lorsque le soleil apparait, il ne peut plus mettre une patte devant l’autre : Je n’en peux plus, dit-il à Nuage d’Avril, tu vas devoir continuer toute seule ! Continue, continue ! Il est là le soleil, il est là ! Je les vois les taches blanches du soleils ; je les vois éblouissantes ; elles emplissent le ciel ; encore quelques enjambées, va droit devant petite sœur !

Le loup place Nuage d’Avril devant les taches blanches du soleil, et tombe et disparait dans un grand hurlement de loup.

Nuage d’Avril grimpe toute seule ; mais, quelques enjambées de loup ça fait combien de pas de souris ? Nuage d’Avril continue de grimper ; elle grimpe jusqu’au bout de ses forces, au-delà de ses forces, même !

Et lorsque Nuage d’Avril décide de tendre une dernière fois une patte, là, elle sent quelque chose de dur ; mais, épuisée, Nuage d’avril perd conscience.

Lorsque Nuage d’Avril s’éveille, il lui semble sortir d’un grand songe ; elle est complétement ébahie !

Elle voit ! Elle a des yeux tous neufs.

Elle se voit, dans la plus grande tache blanche du soleil ;

Elle se voit entourée d’oiseaux magnifiques ;

Ces oiseaux magnifiques la regardent; ces oiseaux magnifiques, majestueux, regardent Nuage d’Avril, avec un grand respect.

 

Nuage d’Avril se dit :

C’est moi, que ces oiseaux magnifiques regardent avec tant de respect ?

Alors Nuage d’Avril caresse son thorax, se regarde, et voit qu’elle a un plumage, identique au leur ...

Nuage d’Avril a le même plumage que ces oiseaux majestueux !

Elle voit qu’elle n’est plus une petite souris.

Nuage d’Avril est parvenue au terme de son voyage dans les taches blanches du soleil …

Nuage d’avril est devenue … un aigle Royal …

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D'après une adaptation d'Henri Gougaud